Gauche-droite. Usages et enjeux d’un clivage canonique
Chers collègues,
Voici la présentation d’une journée d’études consacrée aux termes "droite" et "gauche" à
Nanterre en juin 2008.
Veuillez excuser les éventuels doublons.
Cordialement,
CLD & JLB
Gauche-droite. Usages et enjeux d’un clivage canonique
Le clivage gauche-droite est naturalisé de longue date. Il est ainsi tacitement requis de
tout citoyen qu’il sache au moins classer les partis et eux-mêmes par rapport à ces deux
catégories préconstruites (voir la question ultra-classique d’auto-positionnement posée
par les sondeurs). On observe cependant que les définitions des mots « droite » et
« gauche » varient selon les agents sociaux et les propriétés qui les constituent. C’est ce
qu’illustrent les débats récents en France : Le parti socialiste est-il toujours de gauche ?
Qu’est-ce que la gauche radicale et le centre-gauche ont en commun ? L’extrême droite
est-elle une droite extrême, la vraie droite ou un courant à part ? Le centre est-il à gauche
ou à droite ? Que signifie l’« ouverture » à gauche ou à droite ? Pourquoi se revendiquer de
Jaurès quand on est candidat de droite ? Etc. Paradoxalement, le métadiscours sur la
porosité de la frontière et sur la terminologie contribue à réactualiser et à entretenir ces
deux catégories, masquant au passage la diversité de contenus et d’éventuels
changements idéologiques. D’où par exemple les appels au désistement en faveur des
candidats « de droite » ou « de gauche » les mieux placés entre les deux tours de scrutin.
L’usage mécanique de ces mots postule une permanence des choses qui ne se vérifie
guère. Aussi convient-il, c’est l’objet de cette journée d’études, de prendre quelque
distance avec eux.
La métaphore spatiale distinguant gauche et droite est présentée comme un invariant de la
vie politique française et au-delà, avec d’ailleurs de forts risques d’anachronisme,
d’ethnocentrisme et d’erreurs de parallaxe. Ainsi, on sait que l’autoplacement de
nombreux sondés dans les positions centrales est fallacieux car il manifeste en réalité un
fort sentiment d’incompétence statutaire en matière politique. Cependant, quels que
soient les contextes révolus ou les configurations récentes, ce clivage canonique,
incontournable, offre l’intérêt pratique de décoder aisément campagnes électorales,
stratégies d’alliance, programmes, débats politiques, etc. Il constitue une sorte de rocher
immuable et imposant d’où le commentateur autorisé et le politicien avisé peuvent sans
crainte affronter le flot tumultueux de la vie politique. Il est pensé ordinairement comme
une donnée quasi-naturelle qui permet de rendre compte des situations en les rabattant
sur ces identités et ces entités transhistoriques. Pour le journaliste, l’intellectuel, le
politologue, le politique, le sondeur ou le profane, cette ligne de partage semble assigner
à chacun une identité stable, une histoire différente et des héros spécifiques, constituant
ainsi des répertoires de ressources irréductibles les unes aux autres. Tant et si bien que
les stratégies de subversion du clivage (ouverture, extrême centre, gouvernement d’union,
dédifférenciation idéologique, emprunts, etc.) font l’objet de réactions visant à en rappeler
la nécessité.
La journée d’études qui se tiendra à Nanterre en juin prochain considère ce clivage, non
comme une évidence, mais comme un produit social issu des instrumentalisations
croisées dont il fait l’objet. En effet, la naturalisation de cette catégorie ordinaire de
l’entendement politique n’est sans doute pas étrangère aux profits symboliques et
matériels attachés à son maniement, à la fois comme catégorie de l’action politique et
comme catégorie d’analyse (principe de division et de classement). Mais comment ce
clivage devient-il progressivement un schème de pensée qui organise l’économie des
échanges au sein du champ politique, et notamment la compétition intra- et inter-
partisane ? Comment, sous l’effet de l’autonomisation d’un corps de connaissances sous
la double forme du commentaire journalistique et d’une connaissance académique, ce
clivage devient-il un cadre très prégnant de l’action et de l’analyse ? Comment, en
connexion avec la division extrémiste-modéré, ce clivage routinier constitue-t-il un
obstacle à l’explicitation de structures sociopolitiques autrement plus complexes ? Arrive-
t-il qu’il recouvre en réalité des clivages d’un autre ordre, social, territorial, ethnique ou
religieux ? Etc. : ces questions sont indicatives et non exhaustives.
Il ne s’agit donc pas de proposer une nouvelle histoire des droites ou des gauches à partir
d’une approche essentialiste, cyclique, anachronique, homogénéisante ou téléologique. A
côté de l’histoire des entreprises partisanes qui ont défendu à un moment donné les
« idées » de gauche ou de droite, il devrait y avoir une place pour la sociogenèse de ces
catégories exclusives et des usages sociaux intéressés qui en sont faits, hier comme
aujourd’hui, ici comme ailleurs. De quelle façon et dans quel contexte ce clivage apparaît-
il et se transforme-t-il ? Comment, à la faveur des contextes historiques, culturels et
idéologiques, les acteurs politiques reformulent-ils ce clivage en fonction du système
particulier des enjeux dans lesquels ils sont pris ? Dans quelles circonstances les citoyens
sont-ils familiarisés avec ce clivage canonique, jusqu’à cristalliser parfois une certaine
image de soi ?
La question de la genèse et des usages des identités stratégiques en politique constitue la
seconde perspective abordée par cette journée d’études. Loin de s’adonner à la
relativisation opportuniste du clivage ou à la quête vaine et naïve d’une définition
intrinsèque des deux termes, il s’agit de comprendre pourquoi et comment ils ne veulent
pas toujours et partout dire la même chose, d’où la méfiance de rigueur envers les
équivalences formelles. Il convient donc d’abandonner tout espoir de trouver la « vraie »
définition politique de ces mots ; cette approche, adoptée par certains savants (linguistes,
sémiologues et philosophes, notamment), ne remplit pas un but scientifique, mais vise au
contraire à restaurer une compétence qui leur serait propre, influer sur l’issue de la
compétition politique ou imposer leur opinion personnelle comme seule valable.
Assez logiquement, l’usage de la comparaison trouve toute sa place, comme une façon
d’éprouver la réalité de ce clivage. Les commentaires politiques s’appuient en effet
souvent sur des comparaisons sauvages entre la vie politique française et la vie politique
des autres pays. Cela fait croire que ce clivage existe de façon comparable par-delà les
spécificités locales. Nombreux sont les journalistes et les experts qui ne savent pas
évoquer ces systèmes d’oppositions politiques autrement que sous cette forme routinière
et trompeuse. On touche sans doute ici à l’une des fonctions latentes qu’il assure :
permettre à tous de « comprendre » les enjeux politiques en provenance d’autres horizons
en offrant de les réduire à un jeu d’opposition connu de tous, fut-ce au prix de
malentendus et de quiproquos. Or la double fonction de ce sens commun (réduction de
l’incertitude et fourniture d’un code apte à déchiffrer la politique), si elle mérite en soi
d’être mise au jour et à jour, n’épuise sans doute pas la problématisation scientifique.
Lors de cette journée d’études, il s’agit donc de suivre les traces des multiples
déplacements de sens. On se demandera également si des termes qui sont d’abord des
enjeux de luttes peuvent servir d’outils conceptuels heuristiquement féconds. L’objectif
est d’apporter quelques éléments de compréhension étayés et précis aux fonctions que
remplit ce clivage canonique pour les différents acteurs sociaux (hommes politiques,
militants, journalistes, politologues, sondeurs, intellectuels, électeurs) qui le manient au
quotidien. Ainsi, que signifie-t-il pour les citoyens ? Peut-on établir des liens entre les
diverses perceptions du clivage d’un côté et le rapport à la politique et les propriétés
sociales des individus de l’autre ? Y a-t-il un lien entre la proximité partisane personnelle
et la vision du clivage ? Etc. Dès lors, les propositions de contribution (pour le 1er mars)
peuvent s’inscrire dans plusieurs perspectives esquissées ou en puissance dans cet
appel. Priorité sera donnée aux communications reposant sur des enquêtes et des
matériaux empiriques.
Journée d’études organisée sous l’égide du Gap (groupe d’analyse politique, Nanterre)
Organisateurs : Christophe Le Digol (MCF, Paris X) et Jacques Le Bohec (PR, Lyon 2)
Contacts : cledigol@orange.fr, jacques.le.bohec@wanadoo.fr
Date et lieu de la rencontre : mardi 17 juin 2008, Université Paris X-Nanterre
Date-limite pour expédier une proposition : 1er mars 2008
Format de la proposition : intitulé, texte 1000-2000 signes, statut du ou des auteurs,
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